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François Bourguignon* et Jean-Philippe Platteau

Un problème-clé que doivent résoudre les dispensateurs d’aide au développement est celui né du besoin de réconcilier les exigences d’efficacité dans l’utilisation de l’aide avec l’objectif prioritaire de soulager la pauvreté. Le problème revêt la forme d’un dilemme dans la mesure où la pauvreté a tendance à se concentrer dans les pays dont la gouvernance est la plus faible, en particulier les pays que l’on qualifie d’États Fragiles. Pour résoudre ce dilemme, il convient de dériver des décisions allocatives optimales d’une fonction-objectif qui explicite l’arbitrage entre considérations d’efficience et de besoins. C’est l’idée qui a guidé les premiers auteurs qui se sont intéressés à cette question – voir par exemple Paul Collier et David Dollar (1). Assez intuitivement, ils aboutissent à la conclusion suivante : à niveau de gouvernance constant, un pays plus pauvre doit recevoir davantage d’aide et, à niveau de pauvreté constant, un pays bénéficiant d’une meilleure gouvernance doit être favorisé. Néanmoins, le degré d’aversion du donateur pour la pauvreté ne reçoit pas d’attention explicite dans leur schéma.

Dans cet article, François Bourguignon et Jean-Philippe Platteau cherchent à comprendre si cette aversion est susceptible de jouer un rôle important dans la décision d’allocation d’aide et, plus spécifiquement, de modifier le résultat central obtenu par Collier et Dollar. Deux effets sont simultanément à l’œuvre. D’une part, lorsqu’un pays améliore sa gouvernance, l’utilité pour le donateur d’un montant donné d’aide transféré vers ce pays s’élève puisqu’une portion plus grande de ce montant atteint les destinataires visés, soit les plus pauvres. Ceci incite le donateur à allouer davantage d’aide à ce pays (effet de substitution). D’autre part, l’amélioration de la gouvernance a pour effet d’accroître le niveau de revenu des plus pauvres du pays de sorte que leur degré de pauvreté diminue (effet de revenu). Si le second effet l’emporte sur le premier, le donateur transférera un montant d’aide plus faible au pays dont la gouvernance s’est pourtant améliorée. Ce résultat est plus probable si l’utilité marginale que le donateur tire de l’aide qu’il attribue est très élastique par rapport au niveau de pauvreté de ceux qu’il cherche à aider, c’est-à-dire si le donateur a une forte aversion pour la pauvreté. Une règle allocative qui apparaît comme une évidence – un pays qui a amélioré sa gouvernance (par rapport aux autres) devrait être récompensé par une part plus grande de l’aide totale – n’est donc vérifiée que si l’aversion pour la pauvreté du donateur n’est pas trop élevée.

L’enjeu que comporte le résultat ci-dessus ne doit pas être sous-estimé. En effet, les auteurs montrent que les donateurs ont tendance à privilégier les considérations d’efficacité de l’aide, c’est-à-dire sa bonne gouvernance, par rapport aux considérations relatives aux besoins des populations pauvres. C’est le cas de la règle dite « Performance-Based Allocation » (PBA) appliquée par l’Association Internationale de Développement (le bras opérationnel de la Banque Mondiale spécialisé dans la gestion de l’aide multilatérale vers les pays les plus pauvres), ou de la règle utilisée par l’Union Européenne. Ces règles reflètent une faible aversion implicite du donateur pour la pauvreté et il n’est dès lors pas étonnant qu’il doive avoir recours à des ajustements ex post et ad hoc pour éviter que des pays fragiles ne se trouvent exclus du programme d’aide. Il y aurait un mérite évident à se doter d’une règle plus complète qui accorderait plus d’importance à l’objectif de résorption de la pauvreté et que les donateurs s’engageraient à respecter systématiquement, évitant ainsi la critique tentante selon laquelle les décisions d’allocation d’aide sont largement guidées par des considérations d’ordre politique ou géostratégique.

(1) Aid allocation and poverty reduction, European Economic Review, vol. 46, issue 8, 1475-1500

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Références

Titre original de l’article : Should a Poverty-Averse Donor Always Reward Better Governance ?

Publié dans : The Economic Journal, ueaa131, December 2020

Disponible via : https://doi.org/10.1093/ej/ueaa131

Crédits visuel : Fredcardoso – Fotolia

* Chercheur PSE