Projet de recherche | Construction de l’État et renforcement des capacités de l’État
Chercheurs : Denis Cogneau, Yannick Dupraz, Elisa Grandi, Pierre-Cyrille Hautcoeur, Justine Knebelmann, Sandrine Mesplé-Somps, Zhexun Mo
Ce projet cherche d’abord à construire une nouvelle économie politique du colonialisme aux XIXè et XXè siècles. Elle sera basée sur l’étude du cas français avec à l’esprit les autres empires coloniaux.
Notre hypothèse de recherche est que le colonialisme bénéficia à une minorité d’acteurs influents politiquement et économiquement, dans la métropole ou localement. Sa longévité et ses transformations pourraient s’expliquer par le succès et l’évolution de coalitions pro-coloniales. Le colonialisme étant un phénomène global, sa compréhension implique de considérer le « plan global » plutôt que de se focaliser sur une région colonisée particulière ; plusieurs agents étaient engagés ou représentés dans des territoires multiples, si bien que les plans élaborés pour un endroit n’étaient pas indépendants de ceux faits pour un autre. Enfin, les analyses antérieures du colonialisme ont accordé trop peu d’attention à l’action des colonisés, ne serait-ce que les élites autochtones, aussi contraintes qu’aient été leurs marges de manœuvre. En complément, une prémisse importante de la recherche est que les contextes locaux ont joué un rôle dans la mise en œuvre des plans coloniaux, et que les colonisateurs ont dû s’adapter et trouver des connexions locales afin de faire respecter leurs ordres, assurer leurs investissements ou répandre leur religion.
L’analyse combinera deux vastes bases de données couvrant la période du “second” Empire colonial français (1830-1962), sur l’administration et le développement des colonies d’une part, sur les entreprises cotées en Bourse d’autre part. Nos travaux récents sur les Etats coloniaux et les inégalités seront complétés par l’étude du capital privé et de ses profits, afin de reconstituer la répartition des bénéfices et des coûts de l’Empire entre capitalistes métropolitains, colons, minorités commerçantes, élites et populations autochtones. Des données de réseaux d’acteurs permettront de caractériser l’action d’un lobby colonial.
Un second objectif du projet consiste à examiner comment l’économie politique du colonialisme a survécu à sa fin officielle et comment son analyse peut aider à comprendre l’état du monde contemporain. Les Etats indépendants ont hérité de structures coloniales qu’ils n’ont pu que progressivement réformer. Plusieurs entreprises coloniales sont toujours en vie et ont ouvert la route à de nouveaux investissements provenant de l’ancienne métropole.
Les réseaux se sont aussi perpétués au fil des générations. Les flux de migration internationale, mais aussi la fuite de capitaux, restent orientés vers les anciennes métropoles. Cependant le « tropisme postcolonial » est aussi mis en question par de nouvelles concurrences, provenant d’Etats, de firmes ou d’Eglises. Plus généralement, même si le développement économique et les inégalités suivent des trajectoires de long terme, les situations postcoloniales sont très diverses ; en particulier, les pays n’ont pas géré de la même façon l’héritage colonial du dualisme des marchés du travail, de la terre, du crédit, ou de l’accès à la justice. Notre hypothèse de recherche est ici que certaines différences idiosyncratiques dans l’économie politique de la période coloniale, ainsi que dans les caractéristiques de la décolonisation, peuvent rendre compte pour partie de cette diversité de trajectoires. Ces différences ont émergé de l’interaction entre les caractéristiques précoloniales et les configurations du colonialisme. La nationalisation du capital et/ou de la terre, le défaut sur la dette coloniale, la rupture de l’ancrage monétaire à la métropole, le rejet de l’aide bilatérale ou de l’assistance technique, le protectionnisme et la substitution d’importation sont des politiques qui ont été plus appliquées par certains pays que par d’autres. A l’inverse, les programmes d’ajustement structurel des années 1985-1995 ont représenté un tournant critique où certaines de ces politiques ont été remises en cause, avec la privatisation et la libéralisation des économies. Nous essaierons d’évaluer jusqu’à quel point ces séries de transformations, additionnées à la compétition d’autres puissances, ont engendré une atténuation de l’empreinte coloniale, du côté des ressources et des politiques des Etats, de la propriété du capital et des inégalités.
Travaux en cours
Knebelmann, Justine. “The (Un)Hidden Wealth of the City: Property Taxation under Weak Enforcement in Senegal.”
Cogneau, Denis, and Zhexun Mo. “The Political Economy of Conscription and Taxation in French Colonial Africa.”
Cogneau, Denis, Yannick Dupraz, Justine Knebelmann, and Sandrine Mesplé-Somps. “Taxation in Africa from Colonial Times to Present.”
Cogneau, Denis, Sebastian Garcia Cornejo,Elisa Grandi, Pierre-Cyrille Hautcoeur, David Smadja, Alexia Van Rij. French Capitalism and Colonialism. Colonial Lobbies.
Documents de travail
Alvaredo, Facundo, Denis Cogneau, and Thomas Piketty. 2020. “Income Inequality under Colonial Rule: Evidence from French Algeria, Cameroon, Tunisia, and Vietnam and Comparisons with British Colonies 1920-1960.”
Lucas Chancel, Denis Cogneau, Amory Gethin, Alix Myczkowski, andAnne-Sophie Robilliard. 2020. “How Large Are African Inequalities? Towards Distributional National Accounts in Africa, 1990-2017.”
Cogneau, Denis, Yannick Dupraz and Sandrine Mesplé-Somps. 2018. “African states and development in historical perspective: Colonial public finances in British and French West Africa.”
Articles
Cogneau, Denis, Yannick Dupraz and Sandrine Mesplé-Somps. 2020. “Fiscal Capacity and Dualism in Colonial States: The French Empire 1830-1962,” Journal of Economic History, forthcoming.
Cogneau, Denis, Léo Czajka, and Kenneth Houngbedji. 2017. “The Triumphant Elephant’s Return? Growth and Income Inequality in Côte d’Ivoire (1988-2015).” Afrique Contemporaine No 263-264 (3): 221–25.